Mise à jour le 06.08.2024
Marie-Emmanuelle Fron
5 min

Dix jours en bouteille : le voyage intérieur d’Abraham Poincheval s’est achevé

Abraham Poincheval
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© Ville de Saint-Denis
Le 3 août, l’artiste est sorti de La Bouteille enrichi de sa nouvelle expérience de réclusion et des nombreux échanges nourris avec les passants. Une performance qui s’inscrit dans le cadre des Victoires : six œuvres exposées le temps des Jeux, à l’initiative de Plaine Commune, le long du canal Saint-Denis.

La Bouteille est vide. Abraham Poincheval, confiné 10 jours au sein de l’œuvre flottante, sur le canal Saint-Denis, en est sorti rempli de richesses humaines et personnelles. Mais également de gratitude envers les passants, ces Dionysiens et Dionysiennes, riverains, touristes des Jeux, salariés de proximité, agents et agentes de la propreté ou encore gendarmes mobilisés pour l’événement sportif mondial. Tous ces « inconnus » qui ont pris le temps d’échanger avec lui sur son approche artistique, ses conditions de réclusion, sa santé physique, son moral. « J’ai été extrêmement touché de l’attention qui m’a été portée. On a pris soin de moi pendant ces dix jours d’enfermement », partage-t-il ému à sa sortie. La barbe plus étoffée et les traits tirés traduisent l’épreuve physique traversée. Son sourire et ses yeux parlent de ses lueurs de bonheur. En guise de clin d’œil, son père lui remet la médaille d’or du sport le plus difficile : « l’immobilisme ». Et le maire Mathieu Hanotin, venu l'accueillir avec une bouteille de champagne, salue son endurance. Abraham Poincheval fait partie des six artistes sélectionnés par Plaine Commune, et invités à célébrer – à travers leurs œuvres – les valeurs des Jeux Olympiques et Paralympiques.

Abraham Poincheval et Mathieu Hanotin

Penser, méditer, échanger

De ce temps suspendu sur le canal, l’artiste conserve précieusement « le souvenir des voix », déformées par le cornet acoustique disponible à quai pour la communication, « les bruits de la ville et du Stade » atténués par le Plexiglas de sa bouteille, « les lumières changeantes », « les paysages ondoyants au gré des flots » et surtout « les mots ». « J’ai été touché et nourri par de nombreuses interactions. Je me souviens par exemple de ce garçon qui, en fin d’échange, m’a dit : « c’est une œuvre démocratique, en somme! ». Cela m’a fait réfléchir. » Penser, méditer, échanger, s’oublier et composer avec la solitude et l’environnement ont fait partie de son quotidien bercé par les clameurs du Stade de France. Les vagues de joie de cette marée humaine l’ont bien soutenu.

 

Pas un long fleuve tranquille

Car la vie n’aura pas toujours été un long fleuve tranquille pour l’occupant de La Bouteille. Le pic de chaleur a fait rougir le thermomètre à 47 degrés à l’intérieur. Un orage hypnotique s’est abattu sur le contenant : « Le spectacle était magnifique et un peu effrayant. » L’eau a monté dans la barge. Il a fallu écoper. La veille de la sortie, une coupure d’électricité a paralysé les systèmes de pompage d’eau et d’aération. « C’était un signe : il était temps que ça s’arrête ! », s’amuse Abraham Poincheval.

Parmi les nombreuses personnes présentes pour fêter sa sortie, le 3 août dernier à 14h30, Bilal et son fidèle compagnon à quatre pattes étaient là. « J’ai parlé avec lui tous les jours à la fin, je me suis attaché à sa présence et à nos échanges. » L’artiste et l’habitant se sont chaleureusement salués. Un exemple parmi tant d’autres. Une traversée du désert sur l’eau ponctuée d’oasis de bonheur : telle pourrait être l’image du voyage à Saint-Denis d’Abraham Poincheval.